PARIS — “Aucune torture, même rémunérée, ne doit être encouragée.” Ces mots sont ceux de Tibo Inshape, un des rares influenceurs à s’exprimer sur le sujet. Le youtubeur le plus suivi de France a pris la parole sur X le 19 août, au lendemain du décès tragique du streameur Raphaël Graven.
Connu sous le pseudonyme de Jean Pormanove, l’homme de 45 ans est mort en direct sur la plateforme Kick, après avoir subi des mois durant des violences infligées par deux autres streameurs, encouragés par des dons de leurs nombreux spectateurs. Le parquet de Nice enquête sur les circonstances de cette mort, quand le parquet de Paris a annoncé se pencher sur les pratiques de la plateforme.
Désormais au centre de l’attention politico-médiatique, Kick fera l’objet d’un sort particulier du député Arthur Delaporte (PS) et de l’ex-député Stéphane Vojetta (EPR), dans le cadre de leur mission sur la régulation du secteur, a annoncé mardi Clara Chappaz. Leur mission voit son périmètre élargi à la monétisation des contenus violents ; les conclusions sont annoncées pour la fin de l’année.
La ministre déléguée au Numérique a également assuré à POLITICO que “l’ensemble des parties prenantes aux enjeux de cette mission seront sollicités, dont l’Union des métiers de l’influence (Umicc)”, qui fédère les créateurs de contenu.
Ceux-ci sont en effet partie prenante du problème, selon une partie des internautes et les pouvoirs publics. La prise de conscience sur les dérives de certaines tendances, imaginées avant tout pour ameuter des spectateurs, arrive trop tard. Les agissements du Lokal, le collectif de streameurs dont faisait partie Jean Pormanove, avaient été notamment documentés par Mediapart en décembre dernier, sans guère susciter de réaction.
Le business du challenge extrême
Le silence d’une majorité des influenceurs peut s’expliquer par le fonctionnement d’une partie de l’écosystème et l’aspect lucratif des “challenges”. Soit des vidéos où le vidéaste réalise des défis, parfois dangereux, pour capter l’attention d’un public sans cesse plus avide d’images chocs.
Ceux qui se sont aventurés à condamner ces pratiques, et notamment les violences subies par Raphaël Graven, ont reçu en retour des messages haineux. C’est le cas de la streameuse Avamind sur X, après s’être prononcée en faveur de l’interdiction de la chaîne du Lokal. Preuve, selon plusieurs observateurs, d’une habitude du public à l’égard de ces contenus et d’une réticence des influenceurs à condamner unanimement ces pratiques, de crainte de s’attirer les foudres de leurs abonnés.
“Les challenges extrêmes sur les réseaux sociaux existent depuis un moment”, rappelle également Stéphanie Laporte. La fondatrice de l’agence Otta et spécialiste du secteur de l’influence prend pour exemple des figures populaires, comme celles du youtubeur Inoxtag, qui a pour habitude de faire dans le contenu sensationnel.
Le vidéaste de 23 ans a gravi il y a un an l’Everest avant de se lancer, il y a quelques mois, dans la traversée de l’Atlantique en une dizaine de jours. Il a commencé plus jeune par des “pranks” (canulars) destinés à se faire peur avec son collègue Michou et à filmer leurs réactions parfois violentes.
S’il s’agit ici d’un contenu encadré, que le youtubeur a les moyens de financer, d’autres plus précaires, comme le Lokal, vont plus loin dans les défis dangereux afin de capter une audience en quête d’interdit.
“Pour les youtubeurs connus, il est donc difficile de venir faire la morale aux plus petits influenceurs”, constate Stéphanie Laporte.
“La société et les influenceurs doivent poser eux-mêmes des limites à ce qui est proposé sur le web”, renchérit Hervé Godechot, journaliste et ex-membre du collège de l’Arcom, le régulateur du secteur.
Renforcer le cadre éthique
De son côté, l’Umicc, qui rassemble une partie des créateurs de contenu et des agences, donne pour preuve de sa bonne foi les chartes éthiques non contraignantes qu’elle a élaborées pour sensibiliser ses adhérents. Mais renvoie la balle aux plateformes pour limiter les contenus les plus extrêmes.
“Tout l’écosystème à un rôle à jouer et nous agissons sur la responsabilisation des professionnels, mais les plateformes ont, elles aussi, une responsabilité majeure dans la prévention des dérives”, a réagi par écrit un porte-parole de l’Umicc questionné par POLITICO.
Le syndicat pousse pour que le gouvernement oblige les plateformes à modérer en temps réel des contenus en direct et à un retrait plus rapide des publications signalées par les associations. Ces pistes devraient être étudiées dans le cadre de la mission parlementaire lancée par Clara Chappaz.
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