BERLIN — Avant que Leif-Erik Holm ne devienne l’une des figures de proue de l’extrême droite allemande, il était DJ d’une matinale radio dans le Land dont il est originaire, dans l’est de l’Allemagne, qui le présentait comme faisant “les meilleures blagues” de la région.
A l’approche des élections régionales qui se tiendront en Allemagne l’année prochaine, Leif-Erik Holm, 55 ans, est désormais en passe de devenir la tête de liste du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, un territoire essentiellement rural bordé par la Pologne et la mer Baltique.
L’AfD y est en tête des sondages avec 38% des intentions de vote. C’est l’un des endroits où le parti — aujourd’hui le plus grand groupe d’opposition au Parlement national allemand — est très proche d’accéder au pouvoir pour la première fois depuis sa création, il y a plus de dix ans.
Leif-Erik Holm incarne le type de candidat que certains dirigeants de l’AfD souhaitent de plus en plus voir tête de liste. D’un air bienveillant, il n’est pas dans la provocation, contrairement à d’autres responsables du parti, et affirme chercher le dialogue avec ses adversaires politiques. Interrogé sur ce que son parti ferait s’il prenait le pouvoir dans son Land l’année prochaine, Leif-Erik Holm a énuméré quelques propositions tout à fait banales : investir davantage dans l’éducation, notamment dans les filières scientifiques, et veiller à ce que les enfants d’immigrés apprennent l’allemand avant d’entrer à l’école.
“Je suis en fait un bon gars”, a lâché Leif-Erik Holm.
Derrière cette image de mec banal se cache cependant un vrai calcul politique. La cocheffe du parti, Alice Weidel, tente d’en changer l’image, estimant que l’AfD ne pourra accéder à des postes de pouvoir que si elle s’éloigne des candidats qui adoptent des positions ouvertement extrémistes.
Cela implique de s’éloigner de dirigeants controversés, tels que Björn Höcke — reconnu coupable par un tribunal d’avoir prononcé un slogan interdit, utilisé par les SA d’Adolf Hitler — et Maximilian Krah — qui a déclaré l’année dernière qu’il ne dirait “jamais que quiconque a porté un uniforme SS est automatiquement un criminel”.
A l’inverse, le candidat idéal, du moins pour Alice Weidel et ceux qui soutiennent sa ligne, est quelqu’un comme Leif-Erik Holm, qui peut présenter un visage plus aseptisé du parti. Mais la transformation n’est que superficielle, et même Alice Weidel, malgré son statut de dirigeante nationale, ne peut pas empêcher les masques de tomber.
Nouveau look, même politique
Depuis sa création en 2013 en tant que parti eurosceptique, l’AfD est devenue plus extrême, mobilisant sa base de plus en plus radicalisée principalement autour de la question migratoire. Au début de l’année, les renseignements intérieurs allemands, chargés de surveiller les organisations jugées anticonstitutionnelles, ont classé l’AfD comme un mouvement extrémiste.
Désormais, Alice Weidel s’efforce à ce que ses troupes n’apparaissent plus aussi ouvertement extrémistes. Cette ambition vise à rendre son parti plus acceptable aux yeux des conservateurs traditionnels et à faire en sorte qu’il soit plus difficile pour l’alliance de centre droit du chancelier Friedrich Merz de refuser de gouverner en coalition avec l’AfD et de maintenir le “pare-feu” contre l’extrême droite.
La volonté d’Alice Weidel de présenter une image plus policée n’est pas nécessairement soutenue par une grande partie de la base de l’AfD — en particulier dans ses bastions de l’ex-Allemagne de l’Est —, qui souligne que l’ascension politique du parti a coïncidé avec sa radicalisation. L’argument n’est pas sans fondement. Malgré sa radicalisation, le parti est arrivé en deuxième position lors des élections fédérales anticipées en février dernier, soit le meilleur résultat national pour une formation d’extrême droite depuis la Seconde Guerre mondiale. Le parti devance désormais les conservateurs de Friedrich Merz dans les sondages.

Alice Weidel poursuit néanmoins ses efforts pour tenter d’adoucir l’image de l’AfD. A ce titre, elle a tenté d’éloigner quelque peu son parti de sa proximité avec le Kremlin, en cherchant à établir des liens plus étroits avec les républicains aux Etats-Unis. Désormais, le parti “se battra aux côtés du chevalier blanc plutôt que du chevalier noir”, résume une personne au fait des réflexions d’Alice Weidel.
Dans la même veine, un groupe de jeunes extrémistes affilié à l’AfD s’est autodissous au printemps dernier pour éviter une éventuelle interdiction qui aurait pu nuire au parti. Le week-end dernier, un nouveau mouvement de jeunesse a été créé, sur lequel les dirigeants du parti exerceront un contrôle direct.
D’autres formations d’extrême droite en Europe ont aussi cherché à adoucir leur image. En France, Marine Le Pen tente depuis des années de normaliser son parti, le fameux processus de “dédiabolisation”, en abandonnant l’antisémitisme affiché de ses fondateurs. C’est d’ailleurs dans ce cadre que Marine Le Pen a décidé d’éloigner son parti de l’AfD au Parlement européen. En Italie, la Première ministre Giorgia Meloni a modéré ses positions antieuropéennes et prorusses.
Pour l’AfD, cependant, la tentative de transformation est moins une question de fond que de forme. Malgré les efforts d’Alice Weidel pour redorer le blason de son parti, beaucoup parmi ses membres les plus extrêmes continuent de donner de la voix.
Chassez l’extrême, il revient au galop
Aucun dirigeant de l’AfD n’incarne peut-être mieux cette tension qu’Ulrich Siegmund, tête de liste en Saxe-Anhalt, où l’AfD est en première position dans les sondages avec 40% des intentions de vote pour ce scrutin qui se tiendra en septembre 2026. C’est ici, dans ce petit Land d’un peu plus de 2 millions d’habitants, que les dirigeants de l’AfD placent l’essentiel de leurs espoirs d’entrer dans un gouvernement régional l’année prochaine — et peut-être même avec une majorité absolue.
Comme Leif-Erik Holm, Ulrich Siegmund s’efforce de cultiver une image d’homme ordinaire. Même ses adversaires au Parlement du Land le décrivent comme sympathique et accessible. Avec plus d’un demi-million de followers sur TikTok, il touche plus de monde que n’importe quel autre élu régional en Allemagne.

En même temps, Ulrich Siegmund a des liens avec la frange extrême du parti. Il était l’un des participants à une réunion secrète au cours de laquelle un “plan” visant à expulser les migrants et les “citoyens non assimilés” a été discuté. Les révélations l’an dernier dans la presse sur l’existence de cette réunion avaient déclenché d’importantes manifestations contre l’extrême droite dans toute l’Allemagne et temporairement entamé la popularité de l’AfD dans les sondages.
Auprès de POLITICO, Ulrich Siegmund a minimisé la réunion secrète en la qualifiant de “café klatsch”, affirmant que le véritable scandale est la façon dont les médias ont exagéré la chose. Il s’est décrit non pas comme un dangereux extrémiste, mais comme un homme ordinaire soucieux de son pays.
“Je suis un citoyen normal, un contribuable et un résident de ce pays qui veut simplement des conditions meilleures, en particulier pour ses enfants, pour sa famille, pour tous nos enfants”, a-t-il plaidé. “Parce que je ne peux tout simplement pas rester les bras croisés à regarder notre pays évoluer de manière aussi négative en si peu de temps.”
Pourtant, lorsqu’on pousse un peu plus la discussion, Ulrich Siegmund ne peut dissimuler sa radicalité. Il défend l’utilisation de l’expression : “Tout pour l’Allemagne !”, un slogan nazi interdit qui a valu à son collègue du parti, Björn Höcke, des ennuis judiciaires.
“Je pense qu’il va sans dire qu’il faut tout donner pour son pays”, a considéré Ulrich Siegmund. “Et je pense que cela devrait également être la référence pour tous les responsables politiques : faire tout ce qu’ils peuvent pour leur propre pays, parce que c’est pour cela qu’ils ont été élus et qu’ils sont payés pour le faire.”
Ulrich Siegmund a également contesté l’idée que les nazis ont perpétré le plus grand crime contre l’humanité de l’histoire et que, par conséquent, les Allemands en particulier devraient éviter d’utiliser ce genre d’expression.

“Je trouve cette interprétation très exagérée et complètement détachée de la réalité”, a-t-il rétorqué. “Pour moi, il est important de regarder devant et non derrière. Et bien sûr, nous devons toujours apprendre de l’histoire, mais pas seulement de certains aspects de l’histoire, mais de l’histoire dans son ensemble.”
Ulrich Siegmund a ajouté qu’il ne pouvait pas juger si les nazis avaient perpétré le pire crime de l’histoire, relativisant l’Holocauste d’une manière qui rappelle certaines des voix les plus extrêmes de son parti. “Je n’ai pas la prétention d’en juger, a-t-il justifié, car je ne peux pas évaluer l’ensemble de l’humanité.”
Une leçon de l’histoire allemande, a-t-il complété, est qu’il ne devrait pas y avoir de “police de la langue” ou de tentatives d’interdire l’AfD parce qu’elle serait extrémiste, comme le préconisent certains responsables politiques centristes. “Si vous voulez interdire la force la plus puissante de ce pays selon les sondages, vous ne tirez pas non plus les leçons de l’histoire”, a-t-il souligné.
L’internationale nationaliste
En privé, les dirigeants nationaux de l’AfD se plaignent des commentaires d’Ulrich Siegmund, qui rendent encore plus difficile leur fragile tentative de policer leur image. (Leif-Erik Holm n’a pas répondu à une demande de commentaire sur ces déclarations.)
Ce, d’autant plus qu’Alice Weidel et d’autres dirigeants de l’AfD cherchent de plus en plus à se forger à l’étranger la légitimité dont ils manquent dans leur pays, et craignent que de tels discours ne viennent contrarier leurs efforts.
Alice Weidel et des personnes de son entourage cherchent à tisser des liens plus étroits avec l’administration Trump et d’autres gouvernements de droite, considérant les relations avec les républicains MAGA (du mouvement trumpiste Make America Great Again) aux Etats-Unis et d’autres partis populistes de droite en Europe comme un moyen pour l’AfD de gagner en crédibilité en Allemagne.
En Europe, Alice Weidel a rendu visite à plusieurs reprises au Premier ministre hongrois Viktor Orbán dans sa résidence officielle à Budapest. Le parti s’efforce également de rétablir les liens avec les lepénistes au Parlement européen, selon un haut responsable de l’AfD.
Cependant, tous les membres du parti ne sont pas d’accord avec leur cheffe sur la tentative de modérer leur image, en particulier en ce qui concerne les relations avec Moscou.
L’autre codirigeant national de l’AfD, Tino Chrupalla, a récemment déclaré dans une interview à la télévision publique allemande que la Russie de Vladimir Poutine ne constituait pas une menace pour l’Allemagne. La ligne de Chrupalla est beaucoup plus favorable au Kremlin, et il est le dirigeant préféré de beaucoup de partisans radicaux de l’AfD dans l’est de l’Allemagne, où être pro-Moscou est plus répandu.
Nombre de partisans de l’AfD dans l’ex-Allemagne de l’Est, où le parti est le plus fort dans les sondages, considèrent qu’Alice Weidel, née dans l’ex-Allemagne de l’Ouest, est trop soft.
L’orientation de l’AfD, lors des élections régionales de l’année prochaine et au-delà, pourrait bien dépendre de quelle vision, entre celle de Chrupalla et celle de Weidel, prévaudra.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.



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