PARIS — S’il est un trait d’humour qui redonne (furtivement) le sourire aux responsables politiques de droite, ces temps-ci, c’est l’idée selon laquelle Eric Zemmour aurait été “grand-remplacé” par sa propre compagne, Sarah Knafo. A ceci près que la jeune eurodéputée, devenue la coqueluche des médias du groupe Bolloré, ne leur fait pas moins peur que le polémiste. Bien au contraire.
Les proches de Marion Maréchal, par exemple, étaient parmi les premiers à se délecter en ces termes, cet été, du triste sort de l’ex-candidat à la présidentielle (sous couvert d’un anonymat protecteur de leurs méchancetés), mais pas à s’en étonner.
C’est que la nièce de Marine Le Pen, qui fut tête de la liste Reconquête aux élections européennes de 2024, a encore bien du mal à digérer les manigances supposées de Knafo à son endroit au cours de cette campagne fratricide. Le 13 juin de cette année-là, c’est avec Zemmour, qui lui reprochait de ne pas assez cogner sur le Rassemblement national, qu’elle a officiellement rompu, en retournant à son parti d’origine. Mais s’il est une personne qui a soufflé sur les braises de la division entre elle et le “Z”, selon les proches de Maréchal, c’est la numéro trois de la liste et super-conseillère de Zemmour. “Elle voulait la rupture avec le RN, à mort”, se souvenait au mois de juillet dernier l’un de ceux qui étaient des réunions au QG de Reconquête.
Un an plus tard, le 24 juin dernier, c’est d’ailleurs Knafo que Maréchal a immédiatement soupçonnée quand des huées se sont échappées du public, alors qu’elle entrait tout sourire sur la scène du Casino de Paris, à l’occasion du “Sommet des libertés” organisé par les milliardaires d’extrême droite Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin. Pour celle qui a renoué avec le RN, cela ne fait pas un pli, et elle s’en ouvrira à quelques-uns : le nouveau visage de Reconquête, non contente d’avoir demandé à ses supporters de se répartir dans la salle afin de s’assurer un accueil triomphal, a passé des consignes. “N’importe quoi”, balaye-t-on à Reconquête.
En admiratrice de feue la redoutable Marie-France Garaud — influentissime conseillère de Chirac et de Pompidou avant d’être candidate à la présidentielle de 1981 —, Knafo a-t-elle manœuvré pour pousser cette rivale potentielle hors de son parti, fondé par et pour la campagne présidentielle de 2022 d’Eric Zemmour ? Aujourd’hui, Marion Maréchal a certes retrouvé sa famille, politique et personnelle, au RN. Mais elle n’y est qu’à peine tolérée, peinant à s’y creuser une place. Tandis que Knafo, elle, se retrouve seule en scène.
Unique parlementaire de Reconquête (les autres eurodéputés de la liste ayant quitté le navire avec Marion Maréchal), la trentenaire siège au Parlement européen au côté de l’extrême droite allemande de l’AfD, ces anciens alliés du RN désormais boudés même par les lepénistes, notamment pour des propos à “caractère révisionniste”. Mais Knafo se garde bien de rappeler ses accointances bruxelloises. Pour mieux se muer en visage souriant et rassurant d’un parti qui menaçait, après l’échec d’Eric Zemmour aux élections législatives de 2022, de rejoindre les marges de la scène politique française.
La jeune femme, connue pour ses talents de réseauteuse, n’est en effet pas du genre à s’épanouir à la lisière, ni de la société ni de l’espace politique. Elle s’agace d’ailleurs qu’on la qualifie “d’extrême droite” et déconcerte parfois en lâchant sur le ton de l’évidence qu’elle “[est] LR” — elle a, c’est vrai, fait ses premiers pas en politique à l’UMP, en 2012. “Elle est très angoissée par l’idée de la marginalité, elle a besoin d’être reconnue dans les sphères de pouvoir”, décrypte l’ancien de la campagne cité précédemment.
Faire son trou
Quoi de mieux pour être au centre de l’attention qu’une nouvelle élection ? Dans son viseur : les municipales à Paris, en mars. Un rendez-vous bien franco-français, dans la capitale, et la garantie d’une exposition médiatique maximale. L’eurodéputée n’aurait plus à se contenter d’une vulgaire troisième place sur la liste de Reconquête et compterait, parmi ses adversaires, la ministre de la Culture, Rachida Dati. Mais aussi, pour le RN, l’ex-ministre sarkozyste Thierry Mariani. L’affiche fait saliver d’avance le microcosme.
Sarah Knafo s’offrirait en outre une chance de remporter une jolie victoire symbolique, vu le succès de Reconquête dans certains quartiers de la capitale. Pourquoi pas, même, atteindre les 10% de suffrages exprimés, soit le résultat lui permettant de se maintenir pour le second tour ? Un sondage Ipsos BVA* publié le 14 décembre par Le Parisien la créditait déjà de 7% d’intentions de vote (comme Mariani).
Voilà qui enquiquinerait bien Dati, si elle l’emportait : la nouvelle maire pourrait alors difficilement se passer du vote des élus Reconquête au Conseil de Paris pour gouverner — une majorité de circonstances entre droite et extrême droite, comme elle se crée déjà parfois au Parlement européen.
Si l’énarque de 32 ans hésite encore, c’est qu’elle veut s’assurer que les débats budgétaires au Parlement ne s’achèvent pas, autour de Noël, par un nouveau désastre politique et une décision spectaculaire d’Emmanuel Macron, qui risqueraient de l’empêcher de faire une campagne digne de ce nom. Avant de s’attaquer à la prochaine marche ?
Les messes basses sont dites
Parce que cette campagne municipale serait aussi un formidable échauffement pour “se mettre en jambes avant la présidentielle”, anticipait l’un de ses amis rencontré par POLITICO cet été, à qui nous avons garanti l’anonymat pour parler librement. Lui veillait à préciser qu’il ne parlait pas que de la préparation de la candidate potentielle, mais de celle de “tout le parti”. Soucieux de préserver un président, Eric Zemmour, qui, officiellement, refuse de répondre sur l’identité de celui ou celle qui portera les couleurs de Reconquête en 2027.
En privé, sa compagne, elle, se laisse parfois aller à évoquer le scénario de sa candidature sans précaution de langage, ni mentionner Eric Zemmour. Voire, elle imagine déjà sa première étape : la primaire de toutes les droites, qu’elle espère voir advenir… et qu’elle n’exclut pas de remporter. Novembre 2026 : une victoire face aux Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez et consorts. Les droites alors fédérées derrière Reconquête, le parti pourrait, dans son esprit, tutoyer les 14% d’intentions de vote au premier tour. Et ainsi, dit-on à Reconquête, “recréer les conditions d’un match” face au roi des sondages, Jordan Bardella.
Certes, la première hypothèse — celle d’une élection allant “de Gérald Darmanin à Sarah Knafo” — défendue à l’origine par Laurent Wauquiez et David Lisnard, des Républicains, est encore loin d’avoir convaincu certains des principaux concernés, comme le président des Républicains, Bruno Retailleau. Gérald Darmanin ou Edouard Philippe ne se voient pas non plus, à ce stade, l’affronter, au nom du fait que le ministre de la Justice, par exemple, ne pourrait pas décemment la soutenir en cas de victoire, compte tenu de leurs différences idéologiques. Pas de quoi faire ciller Knafo : “L’intérêt n’est pas qu’ils nous soutiennent, mais de gagner la primaire”, rétorque-t-elle.
Et elle n’est pas seule à s’imaginer reine de cette compétition. Ainsi un député RN s’étonnait-il devant nous fin novembre : “Je ne comprends pas ce qu’ils foutent. Ils prennent le risque qu’elle gagne.” Même prophétie d’un ministre venu de la droite, mi-décembre : “C’est Knafo qui gagne. Elle est plus bankable que Laurent Wauquiez ou Bruno Retailleau.”
Ingrédient incontournable de la sauce Bollo
Officiellement, elle n’est pas encore candidate. Mais “les militants de Reconquête trouvent Eric Zemmour un peu carbonisé”, nous a assuré un élu RN. Le parti n’a-t-il pas, fin novembre, fort opportunément diffusé la vidéo d’une petite dame, dernier ouvrage de Philippe de Villiers sous le bras, qui qualifiait sa cadette de “future présidente” ?
C’est que Sarah Knafo, depuis son élection, s’est rendue incontournable sur les réseaux sociaux comme sur les plateaux. Au parti, on se plaît à raconter que le partage des tâches a été pensé à l’été 2024 par les cadres. A elle, l’omniprésence médiatique, justifiée par son néostatut d’eurodéputée, et la charge de construire une image de sérieux sur d’autres thématiques que l’immigration et la sécurité. A lui, le repli sur l’écriture de son nouveau livre, quelques émissions au format long ou tribunes, un peu plus depuis qu’il assure la promo de La messe n’est pas dite. Pour un sursaut judéo-chrétien (Fayard), sorti le 22 octobre.
Là voilà alors, son sourire XXL toujours aux lèvres, ses ondulations brunes impeccables par tous les temps, qui vient défendre son “contre-budget”, prôner la suppression de tous les droits de succession, développer ses argumentaires sur “l’immigration qui aggrave nos problèmes”… tout en prenant soin de préciser qu’il “serait stupide de dire que l’immigration est à la source de tous nos problèmes”.
Car la jeune femme, “beaucoup plus politique” que son compagnon, de l’aveu du lepéniste cité plus haut, sait se faire “moins caricaturale”, dans les mots d’un conseiller LR, ou “moins transgressive”, dans ceux, à l’inverse, de l’ancien de la campagne cité plus haut. Elle “va chercher les CSP+, les urbains”, estime son ami, soit un électorat d’une droite plus traditionnelle, que l’essayiste effraierait encore. La jeune femme n’a non plus jamais été condamnée (Zemmour l’a encore été, définitivement, début décembre, pour complicité d’injure publique et provocation à la haine). “Elle a la chance d’être neuve”, note le même.
Et puis elle n’a pas son pareil pour trouver de quoi émoustiller la puissance des médias de la ‘bollosphère’ (détenus par Vincent Bolloré) et les plus fidèles zemmouristes. “A chaque fois qu’elle ouvre un couvercle, elle trouve une dinguerie”, s’est un jour emballé à son propos Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction du Journal du Dimanche, sur CNews. L’animateur star de CNews-Europe 1, Pascal Praud, est un fan : il la trouve “brillante”, “intelligente”, “difficile [à] contrer”.
Bien logiquement, quand Le Journal du Dimanche a eu besoin d’illustrer un article en juillet sur “l’union des droites”, alors que le sujet ne faisait pas encore la une de l’actualité, c’est elle, et pas Eric Zemmour, qui apparaissait en compagnie de Marine Le Pen et de Bruno Retailleau. Le 10 décembre, le JDNews, avatar sur papier glacé de l’hebdomadaire, lui consacrait sa une, présentant la jeune femme au sourire en coin sous sa cascade de cheveux bruns comme “une lanceuse d’alerte sur le sujet de la ‘gabegie’ des médias d’Etat” — elle souhaite la privatisation de l’audiovisuel public. Quelques jours plus tôt, au Palais des Sports de Paris, c’est encore elle qui montait sur scène en saluant le public qui l’ovationnait, pour débattre d’une vraie question : “Est-ce que tout est foutu ?”
Même succès en chiffres : “elle prend 5 000 abonnées par jour sur tous les réseaux sociaux”, croyait savoir son ami, qui raconte sa joie lorsqu’elle a dépassé le nombre d’abonnés sur Instagram de… Marion Maréchal (285 000 followers au compteur, contre 464 000 pour Knafo). TikTok, LinkedIn, YouTube, Telegram ou X : l’ancienne magistrate à la Cour des comptes est partout (mais pas sur BlueSky, l’alternative clean à X). Et surveille tout. “Elle peut demander pourquoi le reel [un format court de vidéo sur Instagram] est coupé à telle minute alors qu’elle avait un super sourire juste après”, témoigne encore la même source. Chaque détail compte pour s’imposer dans le débat public. Et, toujours, s’assurer qu’elle ne sera pas reléguée aux marges de la scène médiatique.
“Pas le mec le plus déconstruit“
Qu’en pense Eric Zemmour ? Lui ne prête qu’une attention distraite aux réseaux sociaux. “C’est un peu mignon, il est content quand il fait des vues”, faisait mine de s’attendrir cet été le proche de Knafo. Sa dulcinée, il la prenait pour une “tête de gondole à son service”, selon le mot d’un élu qui a requis l’anonymat pour mieux témoigner de son désamour pour le couple. Désormais, “il faut les voir, marchant dans la rue, lui avec la poussette, trois mètres derrière elle”, se marre un ami du “Z”, qui les aperçoit parfois sur leur lieu de vacances, et ne doute plus que l’auteur à succès s’effacera derrière sa compagne. L’un de leurs interlocuteurs récents, interrogé par POLITICO, est toutefois persuadé du contraire : “Il est pas tout à fait décidé à lâcher”, s’esclaffe-t-il.
En public, l’écrivain, lorsqu’il est interrogé, se félicite systématiquement du talent et des audiences de sa moitié. Mais personne n’a oublié ce qu’il écrivait dans Le premier sexe (Denoël) en 2006, ou tout un tas de ses déclarations passées sur les femmes et le pouvoir. “C’est pas le mec le plus déconstruit, le plus à l’aise avec l’horizontalité homme-femme”, euphémisait mi-novembre auprès de nous un député d’extrême droite qui se dépeint en “ami” de Sarah Knafo et nous a donc réclamé de ne pas dévoiler son identité.
De quoi alimenter les fantasmes autour d’eux, les plus critiques n’hésitant pas à décrire Knafo en manipulatrice. Le même député, qui côtoie la souverainiste depuis une dizaine d’années, va ainsi jusqu’à s’imaginer un Zemmour “plus malheureux que jamais”, qui doit “dormir difficilement”. Et ne peut s’empêcher de voir dans le parcours politico-personnel de l’eurodéputée “une part de rationalité”. Cette “machine froide” a “une capacité à voir plus loin que le simple engagement politique”, dit-il. Le député Jean-Philippe Tanguy, lui, se contente de la surnommer “Cléopatre”, nous précisant : “c’est un compliment”, qu’il lui fait pour “ses capacités de stratège”.
La tacticienne pourrait-elle alors vraiment prendre le risque d’un échec à la prochaine présidentielle ? L’ancien de Reconquête en est persuadé : “Elle n’ira pas pour faire 3%.” Un tel score viendrait la ranger dans la catégorie des candidatures anecdotiques, dans la marge de la grande Histoire de la Ve République. Inacceptable pour celle que beaucoup voient comme une assoiffée de pouvoir.
Difficile d’imaginer que cette intelligence vive, de l’avis de tous ceux qui l’ont écoutée, dénuée de tout sens moral selon ses pourfendeurs, omettrait de ses calculs le destin présidentiel de son modèle, Marie-France Garaud. En 1981, l’éminence grise ayant rompu avec Jacques Chirac se lance à la conquête de l’Elysée. Elle récoltera 1,33% des suffrages exprimés. 386 623 voix.
(*) Sondage Ipsos BVA pour Le Parisien, réalisé en ligne du 5 au 12 décembre 2025 sur un échantillon de 849 personnes, âgées de 18 ans et plus, représentatif de la population parisienne inscrite sur les listes électorales à Paris. Avec une marge d’erreur comprise entre 2,1% et 3,9% selon les candidats.



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