De Lisbonne à Tallinn, les Européens sont accablés par la flambée des prix de l’immobilier. Cette semaine, Bruxelles a l’intention de faire quelque chose pour y remédier.
“C’est une vraie crise”, a souligné le commissaire européen au Logement, Dan Jørgensen, lors d’un entretien à POLITICO, avant l’approbation du tout premier plan pour le logement abordable de l’UE. “Et il ne suffit pas d’en parler.”
Ainsi, les mesures prévues visent à libérer des fonds publics pour la construction de nouveaux logements, analyser la spéculation sur le marché de l’immobilier, et donner aux autorités régionales et locales des outils pour freiner les locations de courte durée qui contribuent à la pénurie de logements.
“Le plan sera un mélange d’actions concrètes au niveau de l’UE et de recommandations que les Etats membres pourront appliquer”, a détaillé Dan Jørgensen. Ce dernier a aussi précisé que la Commission européenne souhaite donner aux gouvernements nationaux, régionaux et locaux les moyens d’apporter de réels changements sur le terrain, sans pour autant outrepasser son rôle dans un domaine où elle n’a pas de compétence officielle.
“C’est un réel problème qui touche des millions de personnes, et l’inaction fait le jeu des populistes de droite”, a fait remarquer Dan Jørgensen, mentionnant les partis ultranationalistes qui ont attisé le mécontentement face à la flambée des prix de l’immobilier pour remporter d’importantes victoires électorales dans des pays comme les Pays-Bas et le Portugal.
“Normalement, l’UE n’a pas joué un grand rôle dans ce domaine”, a-t-il poursuivi. “Il faut que cela change.”
De l’argent, des outils et de la transparence
La mesure la plus concrète qui sera annoncée cette semaine est la révision des règles relatives aux aides d’Etat, afin de permettre aux gouvernements nationaux de construire plus facilement des logements abordables.
Les Etats membres se plaignent depuis longtemps de ne pouvoir utiliser les fonds publics que pour fournir des logements aux familles à faibles revenus. Compte tenu du fait que même les personnes appartenant à la classe moyenne ont aujourd’hui du mal à se loger, la nouvelle réglementation permettra de débloquer de l’argent public pour tous les groupes exclus du marché de l’immobilier.
Le plan donnera également aux autorités nationales, régionales et locales les moyens de cibler les appartements touristiques qui exacerbent la pénurie de logements dans des villes comme Barcelone, Florence et Prague.
“Je ne suis pas du côté de ceux qui demandent l’interdiction des locations de courte durée”, a prévenu Dan Jørgensen, ajoutant que ces plateformes ont permis aux voyageurs de vivre l’Europe différemment et ont fourni à certaines familles une source de revenus nécessaire. Mais le modèle s’est développé à un rythme “que personne n’aurait pu imaginer, les locations de courte durée représentant 20% des logements dans certaines zones très tendues”, a-t-il pointé. Cela s’est transformé en une “machine à fric au lieu de ce que c’était censé être”.
Le commissaire a insisté sur le fait que ce sont les dirigeants nationaux, régionaux et locaux qui choisiront en dernier ressort d’utiliser ou non les outils de contrôle des locations de courte durée. “Nous n’allons pas forcer les gens à faire quoi que ce soit”, a-t-il assuré. “Si vous estimez que le statu quo convient, vous pouvez laisser les choses comme elles sont.”
Par ailleurs, une section plus abstraite du plan visera également à lutter contre la spéculation sur le marché de l’immobilier.

Tout en insistant sur le fait qu’il n’est “pas contre ceux qui gagnent de l’argent”, Dan Jørgensen a souligné que le parc immobilier européen était traité comme “l’or, le bitcoin et d’autres investissements réalisés dans le seul but de gagner de l’argent”, en ignorant le rôle vital du logement pour la société dans son ensemble. “Avoir un toit au-dessus de la tête, une maison décente […] est un droit de l’homme.”
Dans un premier temps, le plan de cette semaine proposera que l’UE produise une analyse de la spéculation afin de déterminer l’ampleur du problème. Toutefois, Dan Jørgensen a reconnu qu’il pourrait s’avérer difficile d’utiliser les données obtenues pour prendre des mesures concrètes afin de lutter contre la financiarisation du marché. “Bien que personne ne prétende que ce problème n’existe pas, il y a un débat politique sur la question de savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise chose.” Mais la régulation est essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur, a-t-il ajouté.
Des recommandations
Le plan pour le logement de la Commission comprendra également une nouvelle stratégie concernant la construction. Elle visera notamment à réduire les formalités administratives et à créer des normes communes, de sorte que les matériaux de construction fabriqués à des prix compétitifs dans un Etat membre puissent être facilement utilisés pour des projets de logement dans un autre.
En outre, un appel d’offres sera lancé pour répondre aux besoins de plus d’un million de sans-abri européens, dont beaucoup ne sont pas citoyens des pays dans lesquels ils dorment dans la rue. “Nous voulons examiner leurs droits et la manière dont ils sont respectés”, a exposé Dan Jørgensen. “Nous parlons d’êtres humains qui ont des besoins, de personnes qui méritent notre aide et notre compassion.”
Le commissaire a expliqué que la complexité de la crise du logement nécessite une approche “holistique”, l’amenant à travailler en tandem avec les vice-présidents exécutifs de la Commission, Teresa Ribera (Concurrence) et Roxana Mînzatu (Droits sociaux), ainsi que Stéphane Séjourné (Marché intérieur) et Henna Virkkunen (Technologies numériques), entre autres.
Il a également souligné que le paquet de mesures ne constituait pas une prise de pouvoir de la part de la Commission et que les autorités nationales, régionales et locales étaient toujours les mieux placées pour traiter de nombreux aspects de la crise. “Mais”, a-t-il ajouté, “il y a des domaines dans lesquels nous n’avons rien fait et dans lesquels nous pouvons faire quelque chose”.
Bien qu’une grande partie du plan consiste en des recommandations que les Etats membres ne seront pas contraints de mettre en œuvre, Dan Jørgensen a mis en garde contre le fait de les ignorer. La Commission propose des solutions, a-t-il développé, et “les décideurs politiques devront rendre des comptes à leurs populations s’ils ne font pas des choses qu’il est évident qu’ils pourraient faire”.
“Les citoyens normaux profiteront de toutes les occasions pour faire connaître leurs exigences, que ce soit lors des élections locales, nationales ou européennes”, a poursuivi Dan Jørgensen. “Je le dis respectueusement aux décideurs de toute l’Europe : soit ils prennent ce problème au sérieux, soit ils acceptent de céder le pouvoir aux populistes.”
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.



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