Derrière l’étrange atonie pour trouver un nouveau pilote à Business France, dirigé par intérim depuis près d’un an, une bataille entre l’Elysée et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique s’est jouée dans la plus parfaite discrétion.
Au cœur de l’été, le gendarme de la déontologie publique a recalé le projet de nomination de Victoire Vandeville, l’actuelle conseillère attractivité, export, politiques commerciales et tourisme d’Emmanuel Macron, a appris POLITICO auprès de plusieurs acteurs du commerce extérieur.
Un feu rouge qui n’a pas manqué de faire soupirer bon nombre d’observateurs des mobilités public-privé, et de fâcher jusqu’au sommet de l’Elysée.
La haute autorité pilotée par Jean Maïa a jugé incompatible cette nomination au motif que Victoire Vandeville a eu à prendre depuis 2022 des décisions touchant, de près ou de loin, à l’agence chargée d’aider à l’internationalisation de l’économie tricolore.
Par exemple ? L’organisation du sommet Choose France, financé en partie par Business France, ou encore la mise en place d’un plan gouvernemental en faveur de l’export.
Face au projet de nomination de cette haute fonctionnaire, tranchée par Emmanuel Macron fin mai, le collège de la HATVP, l’organe délibérant chargé d’adopter toutes les décisions de l’institution, a considéré que cette mobilité public-public tombait pourtant bien sous son contrôle.
Chargé de prévenir les conflits d’intérêts, le collège a estimé que Business France, un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), est assimilable à une entreprise privée et, à ce titre, peut notamment “entrer dans le champ de la prise illégale d’intérêts”.
Un tri au cas par cas
Ce cas illustre-t-il l’application d’une jurisprudence constante ? La HATVP ne considère pas tous les Epic comme des entreprises privées, mais seulement ceux exerçant des activités dans le secteur concurrentiel, comme l’Office national des forêts ou l’Institut national de la consommation.
Dans un précédent avis sur un conseiller ministériel devenu chef de cabinet chez Business France en 2023, le même collège notait pourtant “la mission d’intérêt général confiée” à l’opérateur. Cette notion est parfois prise en compte par le juge administratif pour trancher des litiges liés à des mobilités.
En 2021, un ingénieur de la direction générale des entreprises avait contesté les réserves émises par Bercy au sujet de sa reconversion dans un autre Epic, le Centre national d’études spatiales.
Le tribunal administratif lui avait donné raison, estimant notamment que l’Epic, dont les financements proviennent en partie de crédits publics — tout comme Business France — ne pouvait être regardé comme une entreprise exerçant dans un secteur concurrentiel conformément aux règles du droit privé.
“Il n’y pas de contradiction entre les deux notions, les activités d’intérêt général et le secteur concurrentiel, le nœud du problème réside plutôt dans le fait de s’assurer qu’on peut considérer Business France comme un établissement exerçant une activité sur un secteur concurrentiel”, relève Jean-François Kerleo, professeur de droit public et spécialiste de déontologie de la vie publique.
Outre la subvention octroyée par l’Etat, Business France génère des revenus en facturant aux entreprises des prestations d’accompagnement à l’export et aussi la gestion du dispositif de volontariat international en entreprise (VIE).
Une doctrine sous le feu des critiques
Pas rendue publique, comme d’autres avis sensibles, cette décision contribue à alimenter les reproches dont l’instance, créée à la suite de l’affaire Cahuzac en 2013, fait régulièrement l’objet.
“En pratique, c’est quand même assez lunaire”, analyse un ancien conseiller de l’exécutif. De nombreux conseillers ou ex-conseillers de l’exécutif sondés par POLITICO ont jugé la décision au mieux “tirée par les cheveux”, au pire “hallucinante”.
“Ce genre de jurisprudence va finir par décourager les meilleurs profils d’entrer en cabinet”, regrettait une haute fonctionnaire au fait des déboires de Victoire Vandeville.
Habitué à entendre ces reproches, un ancien cadre de l’instance souligne que “la HATVP est là pour protéger les personnes et les institutions qui les accueillent, contre des risques dont elle n’a pas la maîtrise” et rappelle que ses décisions sont guidées par les jurisprudences judiciaires.
En outre, les reconversions empêchées par la HATVP, généralement motivées par la prévention de risques pénaux, sont très rares (8,5% en 2024), a fortiori pour des collaborateurs élyséens.
“Si la décision est conforme aux textes législatifs, on peut s’interroger sur sa sévérité, susceptible de décourager un certain nombre de personnes à devenir ministres ou cadres publiques pour la suite de leur carrière”, questionne Eric Landot, avocat et docteur en droit public.
Contactées, Victoire Vandeville n’a pas souhaité commenter la décision et la HATVP nous fait savoir qu’elle n’est pas “en situation à ce stade” de s’exprimer sur ce dossier.
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